Retour sur la problématique de la JA 2023 - Par Frédéric Rabat - NormanDoc'

Retour sur la problématique de la JA 2023 - Par Frédéric Rabat

, par Karima Kadi - Format PDF Enregistrer au format PDF

Retour sur la problématique de la journée académique des professeurs documentalistes de l’académie de Normandie – 14 mars 2023.
Par Frédéric Rabat.

La problématique et le questionnement suggéré par le thème de la journée académique 2023 interroge le positionnement du professeur documentaliste autant dans ses dimensions pédagogiques qu’en tant qu’acteur médiatique. Car, aujourd’hui, nous sommes en train de devenir des acteurs médiatiques. Il suffit de rappeler le Vademecum EMI (Eduscol, 2022) qui encourage établissements et enseignants à favoriser la pratique régulière d’au moins un média scolaire. L’école devient donc un acteur au sein de la sphère médiatique, en amateurs, certes. Mais les SIC questionnent déjà cette position d’amateur (Flichy, 2010 et Trédan, 2015).

Il est loisible d’envisager la lecture d’un tel texte de bien des façons. Choisissons, ici, le « pied de la lettre » et l’incitation à l’action que le texte porte. Expérimentons donc, avec nos publics, un média réel, c’est-à-dire, un média diffusé dans un espace public (non-scolaire, par définition) et qui en assume les enjeux info-communicationnels.

Positionnement du professeur documentaliste

Je ne reviendrai pas sur l’histoire d’une profession ni sur celle de la création des SIC, deux histoires qui curieusement concourent, chacune à leur manière, à faire de notre métier une « interdiscipline », à l’image des Sic qui en leur temps assumaient ce positionnement médian (Jean Meyriat, 1994). Nous expérimentons quotidiennement ce positionnement, parfois source d’inconfort, même si nous disposons aujourd’hui d’un corpus de savoirs info-communicationnels suffisamment étayé pour nous permettre de préciser le cadre de nos actions.

Voyons donc ce que ce cadre notionnel peut nous apporter dans l’examen de la question des médias scolaires et certaines formes médiatiques de l’expression de la citoyenneté.

Les médias scolaires et la question de la citoyenneté

Le vademecum EMI pose le cadre suivant : « L’éducation aux médias et à l’information et son enjeu de citoyenneté numérique contextualisent et font vivre les compétences du 21e siècle » (p. 12)
En mettant en avant la notion d’« enjeu de citoyenneté », le texte positionne d’emblée les questions éducatives liées à l’EMI, non dans le domaine attendu de la communication ou de l’expression, mais dans le domaine beaucoup plus général de la « politique » (à prendre ici au sens de « polis »).
Nous sommes, en effet, invités à réfléchir et à inventer des modalités éducatives ne se limitant pas à des pratiques d’ordre scolaire mais investissant l’espace public et son « désordre démocratique ». Cet investissement de l’espace public semble impliquer que l’école puisse avoir pour mission d’amener les élèves à prendre pied dans le monde en expérimentant certaines formes de participations médiatiques (et citoyennes, donc). Si les enjeux posés sont réellement « citoyens », on conviendra qu’il serait décevant de se limiter, au sein de l’école, à des formes expérientielles appauvries et dégradées dont les élèves percevraient aisément le côté artificiel. Si nous voulons assumer l’ambition du texte, nous devrons envisager les moyens d’entrer « en résonance avec le monde » (Hartmut Rosa, 2018). Accepter d’entrer en contact avec le réel nous imposera de piocher dans des répertoires d’action issus du réel.

En conséquence, la première question que l’on pourrait se poser est celle-ci : dans quelle mesure les savoirs info-communicationnels peuvent-ils constituer des savoirs d’action (Leplat, 2005), nécessaires pour appréhender les enjeux de notre époque ? Comment prendre appui sur la culture informationnelle pour amener les élèves à expérimenter, à travers expressions et formats médiatiques, des modes d’action citoyens ?

« Plateformisation »… des esprits

Dans un contexte numérique où tous les usagers et en particulier les jeunes publics sont de plus en plus sollicités par des plateformes et des médias numériques qui prétendent personnaliser, faciliter et fluidifier notre rapport au monde. Comment faire en sorte qu’un plus grand nombre de jeunes confrontés quotidiennement à des univers lissés et prototypés se sentent prêts à affronter les incertitudes, les tensions qu’impose le débat démocratique.

Fluidification

En prétendant savoir mieux que nous ce que nous désirons, en cherchant à nous épargner toute « friction » quant aux inégalités d’accès à l’information ou toute autre forme d’asymétrie sociale, les algorithmes à l’oeuvre au cœur de ces nouvelles tendances communicationnelles, nous disent ce que nous souhaitons offrant de nous « débarrasser », par exemple, de la tâche « fastidieuse » de trier les informations qui nous parviennent. Le débat récent autour de ChatGPT s’inscrit dans cette tendance.

En prétendant prendre à leur charge certains de nos actes, en anticipant nos désirs, les médias sociaux devenus médias « récursifs » (qui lisent le lecteur), risquent de maintenir ceux qui ne disposeraient pas des moyens de s’en émanciper, dans un état d’incompétence et de naïveté informationnelle, de minorité, face aux incertitudes et aux aléas de notre époque.

Tension(s)

Pour nous sentir en capacité d’agir sur le réel, nous avons besoin de réaffirmer que les informations que nous proposent les plateformes et les médias « récursifs » entrent effectivement en tension avec les savoirs stabilisés de l’École et, plus spécifiquement, de la culture de l’information que portent les professeurs documentalistes.

Or, tension ne signifie pas nécessairement contradiction : nous sommes tous embarqués, en conséquence, il ne peut s’agir pour l’enseignant de condamner les médias sociaux, ni même de disqualifier, a priori, certaines pratiques. Une telle disqualification institutionnelle est parfois vécue douloureusement par les élèves et étudiants (Cordier, 2008).

Braconnages (De Certeau, 1990)

Or, les jeunes usagers des réseaux ne nous ont pas attendus et ont toujours su contrarier ces tendances et continuer à créer et agir, parfois en détournant ou en réorientant les usages « prêt-à-cliquer » des médias récursifs (id.) comme autant de braconnages souvent créatifs.

Culture commune… informationnelle

Mais ces publics, parfois « frondeurs » et innovants, ont peut être compris que la culture scolaire, tout comme d’autres horizons culturels, constituent des langages et des points d’appui réflexifs et critiques indispensables pour ne pas vivre notre rapport aux médias de manière captive.

L’EMI et l’information documentation doivent plus que jamais porter et promouvoir ces modes de pensée réflexifs.

Mais comment convaincre nos publics toujours plus hétérogènes dans leurs rapports à l’information que cette culture n’est pas qu’une lubie scolaire ou un ensemble de savoirs destinés à des élites mais s’avère aujourd’hui, plus que jamais, essentielle au développement de tout pouvoir d’agir en société ?

Autrement dit, comment faire en sorte qu’un citoyen, en capacité de transformer le réel, soit en mesure de se positionner sciemment et consciemment sur un axe informationnel allant de la « personnalisation » algorithmique subie à l’engagement choisi au sein de collectifs.

En particulier, en quoi une culture informationnelle, intrinsèquement portée vers la prise de décision et l’action, peut elle nous fournir les savoirs qui permettront à tous les élèves, quels que soient leurs milieux ou leurs dispositions, à se construire des environnements informationnels capables de nous donner du pouvoir d’agir personnellement et collectivement (DPA-PC, Julia Bihl).

Mise en chantier

Une culture informationnelle émancipatrice, orientée vers le développement du pouvoir d’agir, personnel et collectif (DPA-PC, Bihl, 2020) doit donc être capable d’amener les élèves à identifier les contextes informationnels, à situer les savoirs au sein des écosystèmes informationnels et du paysage médiatique et adapter les formes de ses productions médiatiques en mobilisant et articulant savoirs informationnels et savoirs d’action. Bref, à rencontrer (avec gourmandise) une culture de l’information.

FGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHFDGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFHDFHDFHDHDSFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFGHDFHDFHDFGHDFGHDFHDFHSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGDSFGDSFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGDSFGSDFGSDFGSDFGSDFGSDFGDSFGSDFGSDFGSDGSDFGSDFGSDFGSDFG

Bibliographie

BIHL Julia, « La littératie médiatique par et pour l’empowerment. La place du pouvoir d’agir dans un dispositif évaluatif de compétences », Spirale - Revue de recherches en éducation, 2020/3 (N° 66), p. 65-75. DOI : 10.3917/spir.066.0065. URL : https://www.cairn.info/revue-spirale-revue-de-recherches-en-education-2020-3-page-65.htm

CORDIER Anne, « Exercer un esprit critique en confiance : le défi de l’éducation à l’information et aux médias », Hermès, La Revue, 2021/2 (n° 88), p. 168-174. URL : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2021-2-page-168.htm

Michel de Certeau, L’invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire, tome 2 : Habiter, cuisiner, Gallimard, 1990

Eduscol. vademecum EMI. URL : https://eduscol.education.fr/document/33370/download?attachment

FERRON, Benjamin, HARVEY, Nicolas, TRÉDAN, Olivier, 2015, Des amateurs dans les médias, Paris, Presses des Mines, Collection Sciences sociales, 217 p.

Patrice Flichy. Le Sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique. Seuil, 2010

Pascale Gossin, « Annette BÉGUIN-VERBRUGGE et Susan KOVACS (dir.) (2011), Le cahier et l’écran. Culture informationnelle et premiers apprentissages documentaires », Communication [En ligne], vol. 34/2 | 2017, mis en ligne le 06 juillet 2017, consulté le 06 février 2023. URL : http://journals.openedition.org/communication/7039 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communication.7039

Jacques Leplat, « Les savoirs d’action : une mise en mots des compétences ? de Barbier et Galarneau », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé [En ligne], 7-1 | 2005, mis en ligne le 01 février 2005, consulté le 06 février 2023. URL : http://journals.openedition.org/pistes/3244 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pistes.3244

Éric Monnet, « La théorie des « capabilités » d’Amartya Sen face au problème du relativisme », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 12 | 2007, mis en ligne le 18 avril 2008, consulté le 07 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/traces/211 ; DOI : https://doi.org/10.4000/traces.211

William Uricchio, « Médias récursifs », Questions de communication [En ligne], 41 | 2022, mis en ligne le 01 octobre 2022, consulté le 07 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/29145 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.29145